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En ce jeudi 17 août 2023, nous nous réveillons à nouveau sur le parking privé de Canosphère. Après notre éreintante journée de canoë de la veille, ils nous ont permis de rester dormir, une nuit de plus ! Et nous étions bien et rassurés à cet endroit, car il faut dire que les orages sont fréquents dans la région. Même si moindres, par rapport aux nuits précédentes, ils ont encore frappé… C’est donc une nuit bien chaude à nouveau que nous avons vécus, bien enfermés dans le camion. Nous avons fini bien moites !
Nous profitons d’un dernier petit-déjeuner avec les copains avant de ranger tout notre barda… Le programme du jour est encore un peu flou, mais nous avons, en ligne de mire, un stop bien défini pour la journée : Ouradour-sur-Glane. Il s’agit d’une ville martyre de la Seconde Guerre Mondiale. Je reviendrai donc sur son histoire poignante. Nous décollons à 10h45 en direction d’Ouradour-sur-Glane, à 160 kilomètres au Nord de Cenac, où nous avons passé la nuit.
La route se passe bien malgré la chaleur et nous arrivons sur place un peu avant 14 heures. Nous faisons une halte pique-nique avant d’alterner pour la visite du site, mais non autorisée aux chiens. Il s’agit d’un lieu de mémoire auquel on accède gratuitement via le Centre de la Mémoire, situé au cœur du village. En effet, le village « détruit » est resté dans son jus si l’on peut dire et des visites guidées pour le souvenir y sont réalisées, malheureusement, celles-ci étaient déjà complètes pour la journée. Damien part le premier après notre pause-déjeuner tandis que je m’occupe des loulous qui siestent à l’ombre et au frais !
Vient finalement mon tour de me rendre au village. En arrivant sur le site, une grande stèle annonce déjà la couleur. La phrase qui y est inscrite est signée de Paul Eluard (poète français) et date de 1944 : « Ici, des hommes firent à leurs mères et à toutes les femmes, la plus grave injure : ils n’épargnèrent pas les enfants ». Ces mots résonnent en moi et les histoires contées par Pauline et Thierry, passés ici quelques jours plus tôt, me reviennent en mémoire. À mon tour d’entrer sur le site pour découvrir l’histoire et ce qu’il reste de ce village.
J’entre dans le grand bâtiment sous-terrain d’où l’on peut démarrer la visite du village mais aussi de deux expositions (celles-ci sont payantes, moyennant 9€ / adulte) : l’exposition permanente « comprendre Ouradour » et l’exposition temporaire « Objets en héritage ». Je décide de me rendre en premier lieu au village martyr (45 minutes de visite environ) avant d’acheter les billets pour les deux expos. Il faut savoir qu’il n’existe aucune explication au sein du village et qu’à défaut de visite guidée (14€ / adulte), mieux vaut prévoir le temps pour les deux expositions lors de sa venue.
Le 06 juin 1944, les troupes alliées débarquaient en Normandie, affaiblissant considérablement les forces allemandes. Prises par surprise, ces dernières tentent de se réorganiser tandis que les actions de la résistance française les mettent également à mal.
Nous ne sommes pas sans savoir qu’à cette époque, l’Allemagne a connu une montée en puissance des SS (Schutzsstaffel). D’abord chargés d’assurer la protection d’Adolf Hitler, ces « soldats politiques » étaient issus d’une élite autoproclamée. Peu à peu, leurs missions sont venues à évoluer et ils avaient dès lors pour mission d’être au front pour verser leur sang. C’est ainsi que de 21 000 hommes en début de guerre, ils sont devenus plus de 600 000 à fin 1945 avec des recrutements passifs au fil des années.
Mais la division qui nous « intéresse » dans l’histoire d’Ouradour-sur-Glane, est l’entité militaire appelée « Warren SS ». C’est une armée raciale et politique, très sélective, créée en 1939 par Heinrich Himmler. Ce dernier, en quelques mots était un haut dignitaire du Troisième Reich, criminel de guerre qualifié de « meurtrier du siècle » et l’un des principaux responsables de la liquidation de l’opposition : il était responsable des camps de concentration et en charge de la mise en œuvre de la Shoah (extermination du peuple juif).
Une division de la Waffen SS, envoyée à compter du 08 juin 1944, par son ordre, dans région de Thule – Limoges a fait beaucoup de dégâts. Il était considéré que cette zone française était constituée d’importantes bandes d’opposants (les maquis) et le déplacement des troupes allemandes étaient clairement à vocation meurtrière.
Ainsi, il avait été annoncé que pour les opposants (les maquisards), la seule peine serait le supplice par pendaison. À compter de ce jour, un arrêté annonçait « 1 soldat allemand blessé = 3 maquisards pendus ; 1 soldat allemand tué = 10 maquisards ou complices pendus ». Par la même occasion, les Allemands exigeaient une collaboration loyale de la population civile pour combattre efficacement l’ennemi commun : les bandes communistes (autrement dit ces constitutions d’hommes, en maquis, qui s’opposaient à l’occupation allemande).
Le massacre a ainsi commencé dans la ville de Tulle, le 09 juin 1944, où l’action a des maquis avait donné la mort à 40 soldats allemands. Leur vengeance est terrible : 99 hommes sont pendus aux arbres, aux réverbères et aux balcons de la ville. Dans les jours qui suivent, 149 personnes sont déportées vers le camp de Dachau (Bavière, Allemagne).
Les soldats cherchaient dans la zone de Thule – Limoges, une localité où ils pourraient frapper « gros ». Sur les conseils des collabos, ils entreprennent de se rendre à Ouradour-sur-Glane. Ils y débarquent le 10 juin 1944, à 14h00. Les soldats déployés cernent alors la ville qui ne comprend pas vraiment ce qu’il se passe. Les SS poussent devant eux les habitants qu’ils croisent au fur et à mesure de leur progression. Ceci afin de les rassembler sur la place principale : le Champ de Foire. Si ces derniers refusent de se soustraire (ou qu’ils sont blessés), les Allemands ont pour ordre de les exécuter immédiatement.
Les habitants obtempèrent assez facilement, car ils n’ont rien à se reprocher. Dans cette zone non occupée, l’arrivée des Allemands n’est pas commune. Les habitants prennent cela pour un simple contrôle, loin d’imaginer le drame qui s’opérera bientôt. Les hommes discutent entre eux, plus préoccupés par le match de foot qui aura lieu demain. Il faut dire qu’un de leur joueur vient de se blesser et est plâtré… Pendant ce temps, les Allemands continuent de rassembler tous les habitants en criant « RAUS » (« DEHORS »).
Les habitants acceptent l’injonction de se rassembler sur la place centrale… Pourtant, certains effrayés, décident de se cacher ou de dissimuler leurs enfants. Près de 600 hommes, femmes, enfants et bébés sont rassemblés en quelques minutes tandis que les soldats gardent les issues. Les Allemands prétextent alors un contrôle d’identité.
Les femmes et les écoliers sont placés sur le côté droit du Champ de Foire. Les hommes, eux, occupent la partie gauche. Le maire doit alors désigner des otages avant que les femmes et les enfants ne soient évacués vers l’église. Pendant ce temps, les hommes sont plaqués face aux murs. Aucun au revoir, seuls les cris déchirants des femmes percent le silence morbide.
Les 197 hommes sont alors répartis en six groupes et menés dans les plus grandes remises et granges d’Oradour-sur-Glane. En effet, ces lieux qui présentent la particularité d’avoir peu d’ouverture :
Les hommes y sont entassés tandis que les Allemands balayent devant les entrées et y disposent des mitrailleuses. Soudain, le signal est donné. À 16h00, les hommes sont abattus, simultanément dans chaque lieu, et ce, sans comprendre pourquoi.
Les Allemands marchent sur les corps et achèvent les blessés ! De la grange Laudy, six hommes parviennent à s’extraire avant que les soldats SS ne recouvrent les corps de bois… Pour y mettre le feu avec de l’essence trouvée au sein du village.
Parmi les survivants, cinq réussissent à s’enfuir sans être abattus par leurs bourreaux. Il s’agit de Robert Hébras, Jean-Marcel Darthout, Mathieu Borie, Clément Broussaudier et Pierre-Henri Poutaraud. Le dernier survivant est décédé le 11 février 2023, emportant avec lui les dernières visions d’horreur d’Ouradour-sur-Glane.
Ils finissent par piller et incendier l’ensemble des maisons avant de s’occuper des femmes et des enfants.
Dans l’église du village, sont enfermés 245 femmes et 207 enfants / bébés. Les Allemands viennent déposer une grande caisse au cœur de la nef, au beau milieu de la foule. Il est 17h00 quand ils allument le cordon qui en dépasse. Dans celle-ci, se trouvent des grenades asphyxiantes qui explosent et font éclater les vitraux.
Pour les Allemands, l’asphyxie ne se passe pas comme prévu. Ils décident alors de tirer sur les femmes et les enfants et balancent des grenades sur la masse humaine. Dans l’église, on distingue encore ces impacts de balles, aujourd’hui. Ils achèvent cet acte horrible en apportant des fagots de paille… Et y mettent le feu, de manière à faire sauter le toit de l’église, pour qu’il s’écrase sur les suppliciés.
Au cœur de la foule, deux femmes, dont une avec un bébé, s’échappent par un vitrail. Malheureusement, les cris du bébé alertent les SS qui mitraillent ces trois personnes. Malgré ses blessures (5 balles dans les cuisses et les jambes), Marguerite Rouffanche, parvient à se cacher dans un rang de petits-pois dans le jardin du presbytère. Elle sera secourue 24 heures plus tard.
Le dernier acte des soldats de la Waffen SS sera lié à l’arrivée du tramway du soir. À 19 heures, contraignent les 12 habitants du village de descendre, sous la menace, et les emmènent dans une ferme proche. Toutefois, ils les libéreront en fin de soirée. Pendant ce temps, les 5 hommes survivants et les rescapés s’enfuient, masqués par la fumée.
Les premiers témoins arrivés dans le village retrouvent Ouradour-sur-Glane en ruines, ravagé par les flammes. Entre temps, les soldats SS ont pris soin de brûler l’ensemble des corps, rendant l’identification des corps impossible. Un outrage aux cadavres puisque moins de 10 % des corps ont pu être identifiés. Les allemands ont ainsi interdit le deuil aux proches et aux victimes de leurs actes barbares.
Les corps sont ainsi retrouvés dans l’étouffoir, un puits, un cabinet, et même dans la rue par les premiers arrivants dans le village… Le drame compte 643 victimes : 192 hommes, 244 femmes et 207 enfants, mais aussi 18 rescapés, cachés dans le village, et seulement 6 survivants…
Les deux expositions que j’ai pu visiter étaient très intéressantes et m’ont permis de comprendre plus en détail ce qu’il s’est passé ce jour-là. L’exposition permanente « comprendre Ouradour » revient sur la montée en puissance des nazis, le début de la Guerre et la période qui a entouré le Débarquement. Une projection explique aussi en détail le massacre et comment les soldats ont procédé pour réunir les habitants avant de mettre fin à leurs jours.
Ce village d’Ouradour-sur-Glane est devenu une nécropole et il n’a jamais été reconstruit. Toutefois, 4 ans après le massacre, le 10 juin 1947, c’est Vincent Auriol, alors président de la République (1947-1954), qui préside à la pose de la première pierre de la reconstruction du nouveau village, quelques centaines de mètres plus loin. Celui-ci est construit sur le même modèle et sera l’objet d’un chantier qui durera six ans. À noter que dans le village martyr, seul un arbre, « l’arbre de la liberté », a résisté aux flammes. Planté en 1848, il se tient encore debout, et fièrement au cœur du village, à proximité de l’ancienne église.
Pour finir, l’exposition temporaire « Objets en héritage » est poignante. Comme à Auschwitz (NDLR : visité en novembre 2017), on y retrouve des objets du quotidien et des objets portés par les Radounauds (habitants d’Ouradour-sur-Glane). La plupart sont calcinés : ciseaux de coiffeur, dés à coudre, couteaux suisse, couverts, jouets pour enfants, landau bébé criblé de balles ou encore triporteur.
Parmi les objets réunis pour cette exposition temporaire, nombreux sont ceux appartenant aux familles des victimes et gracieusement prêtés. On trouve notamment parmi ceux-ci un morceau de la cloche de l’église récupéré par un papa et coupé en deux pour transmettre « en mémoire » à ses deux filles. D’une main tremblotante, une dame probablement âgée a annoté à côté de celui-ci une phrase dont je n’ai pas les mots exacts, mais qui disait : « Mon papa nous a transmis ce morceau de cloche d’Ouradour-sur-Glane, en souvenir. À l’origine, il était deux fois plus gros, mais papa l’a coupé pour qu’il reste dans la famille. C’est ma sœur qui possède l’autre moitié ». Très touchant.
C’est poignant et je ne regrette pas d’avoir fait cette visite pour mieux comprendre ce qu’il s’est passé et surtout ne pas l’oublier…
Il est 17h30 quand je termine les expositions. Nous décidons de remonter vers la maison après cette dernière visite. En chemin, il n’y a pas vraiment de lieu d’intérêt pour nous et nous avons encore quelques jours de vacances pour nous reposer et profiter d’activités plus proches de la maison. Notre trajet est plutôt calme et j’en profite pour expliquer à Damien tout ce que j’ai pu découvrir à travers les expositions et lui donner plus de sens au village qu’il a visité « sans son » en quelque sorte.
Un rapide stop en route pour dévorer une pizza et nourrir nos fauves et c’est à 22h23 que nous arrivons à la maison, fatigués, mais contents de prendre une bonne douche et de se coucher dans un grand lit, dans une maison « fraîche » ! C’est donc tout pour cet été et ces vacances dépaysantes, amicales, familiales, emplies de découvertes variées et culturelles… Tout ce qu’on aime !
C’est étrange de finir cet article « fort » par une photo de pizza (et de le commencer par une Madjo affalée et une belle salade de tomates) mais c’est ainsi que s’est déroulée la journée, et de cette manière que nous l’avons vécue !
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Bien triste toute cette histoire…..
Gros bisous à vous quatre.❤️❤️❤️❤️